[Tribune libre] Le cap de la communication des entreprises a changé
Après la crise du COVID-19, qu’en sera-t-il dans l’univers du langage et de la communication ? Dans cette tribune libre, Jeanne Bordeau, Présidente de l’Institut de la qualité de l’expression, nous livre ses réflexions sur la communication des entreprises dans le contexte actuel.
Une communication soignée
Après la crise du COVID-19, qu’en sera-t-il dans l’univers du langage et de la communication ?
Savoir que l’on sait peu
Avec cette crise sanitaire, le pays s’est en 24 heures retrouvé anesthésié et arrêté. Et, soumis aux mêmes obligations de confinement : #RestezChezVous. Riches ou pauvres, nous avons été invités à un retour dans nos jardins intérieurs, à être « tout seul mais ensemble » ! Nous en sommes restés abasourdis, mais nous nous sommes exécutés. Bien devin qui pourrait dire à partir de la fin mai, comment communiquer, quelle voie suivre ou quel chemin choisir… Nous savons donc surtout, tout ce que nous ne savons pas.
Cultiver une attitude infusée de simplicité sera la première des lois.
Les conseils en langage et en communication, devront d’abord être le fruit de l’humilité, et d’une interrogation profonde. Ainsi, chaque réponse construite dépendra du secteur, de l’âge de l’entreprise, de ses souhaits commerciaux, de ses valeurs et des attentes de ses publics. La nature du conseil a changé, elle se nimbera de prudence. Nous aurons donc pour devoir de créer des audits sémantiques et des ateliers d’écoute. A chaque nouvelle intervention, il nous faudra diagnostiquer et saisir grâce au langage, les séquelles et les attentes des collaborateurs et citoyens. Si le langage donne forme à la pensée, il peut aussi aider à réparer les esprits.
Penser le complexe et l’incertain
Cultiver une attitude infusée de simplicité sera la première des lois. Comment ne pas se rallier aux propos d’Edgar Morin, quand il écrit : « Quelle difficulté de penser quand tout est complexe et incertain » ? Nombre de questions devront être résolues telles que : comment parler et écrire juste ?
Les dirigeants auront eux un autre défi à relever : posséder une parole forte et naturelle. Ils devront réussir à avoir une vision et chaque jour, réconcilier bien des paradoxes
Comment communiquer avec nuance pour relier et faire cohabiter des communautés éclatées et des ressentis culturels et sociaux divers qui sont bien au-delà d’états d’âmes passagers ? Tous incarnent une France disloquée. Les dirigeants auront eux un autre défi à relever : posséder une parole forte et naturelle. Ils devront réussir à avoir une vision et chaque jour, réconcilier bien des paradoxes.
Réconcilier le singulier et le pluriel, le tout seul et l’ensemble
L’exigence de cultiver le sens, de prendre en considération chacun et, le fait de veiller sur l’autre, seront présents et toucheront aussi bien les esprits blessés que les esprits impatients de repartir et d’innover. Mais, il en est ainsi des bouleversements, ils libèrent des pans de lumière et mettent du temps à chasser les ombres. Déjà les études menées par l’Observatoire des mots de notre Institut montraient en 2017 et 2018 que le champ sémantique de l’actualité portait des verbes comme : « sauver », « redresser », « retisser », « reconnecter », « renouer », « changer ». Nous parlerons donc à chacun et à l’ensemble : « une parole soignée ». En première ligne aux côtés des marques et des entreprises, les communicants après avoir diagnostiqué, devront aider à ré-entraîner, à harmoniser, à reconstruire, à inspirer, à refonder. En 2016, les politologues du Centre de recherches politiques de Science Po dépeignaient l’état d’esprit de nos compatriotes par cette trilogie lexicale : « lassitude, morosité, méfiance ». Comment harmoniser alors, une communication délicate et forte face à une France en proie aux doutes depuis bien longtemps ?
Maîtriser les injonctions contradictoires
On parle d’empowerment et d’autonomie du citoyen et du consommateur. On souhaite pour eux plus de liberté. En même temps, et c’est contradictoire, on utilise une communication portée par une pédagogie infantilisante et déresponsabilisante. Face à ces contradictions et tant d’autres, comment les marques pourront-elles donc être de véritables accompagnatrices qui manient un langage irriguant liberté et confiance ? Il faudra aussi savoir être grave et léger et aider à retrouver le sourire.
« Le besoin de sens respire presque dans chaque phrase échangée sur les réseaux sociaux »
Et sur le fond, les marques auront également à lancer des produits et des offres nouvelles, et à traiter de sujets en souffrance toujours liés à la crise mais qui en fin d’année, pourront apparaître anachroniques. Oui, la confiance entre le consommateur citoyen et ces instituts et entreprises devra s’incarner dans des textes subtils et rassurants, authentiques et sans austérité. La reconquête de notre liberté et de notre joie de circuler demandera à être partagée avec finesse.
Être dans la sobriété et harmoniser
Dans une France fracturée, jaunie par les braises des mouvements sociaux qui ne pourront que resurgir, mettre en concorde une communication interne et externe, sera donc un exercice de haute précision. Harmonie et sobriété deviendront des étoiles polaires à suivre. Au lieu de vouloir tout dire et de prétendre à la transparence à chaque bout de phrase, la cohérence et la clarté seront les maîtres-mots. Par ailleurs, les tout premiers faux-pas à éviter sont la créativité dénuée de sens et trop bousculante puis l’humour pollué par le sarcasme car ils risquent de ne pas sonner juste aux oreilles blessées. Quant au besoin de sens, il respire presque dans chaque phrase échangée sur les réseaux sociaux. Il faudra se souvenir que les hommes et les hiérarchies ont été chavirés lors de cette pandémie. Se souvenir que nos nouveaux héros applaudis aux balcons sont désormais infirmières, aides-soignantes, caissières, livreurs… C’est une plume claire, pointue et soignée qui devra savoir interpréter, décrire et harmoniser ces sensibilités multiples. Enfin, on le savait depuis longtemps, les Français sont fatigués. Fatigués entre autres des sur-promesses. La fiabilité et la sobriété seront donc de mise !
Jeanne Bordeau, Présidente de l’Institut de la qualité de l’expression